jeudi 14 février 2008

Pour une analyse du mouvement de blocage « anti-LRU » à Toulouse 2 et dans les autres universités de Lettres, Langues, Sciences Humaines

« À l’épreuve des événements, nous faisons connaissance avec ce qui est pour nous inacceptable »
(Maurice Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, Paris, Gallimard, 1955, p. 10)

Cinq semaines de blocage de l’UTM et de bien d’autres universités de LLSH en France. Il y a de quoi s’interroger sur la nature et les causes de ces mouvements de protestation-blocage à répétition (à Toulouse, pas moins de sept en douze ans).

Il nous semble qu’on peut décomposer ces « types » d’événements en quatre éléments. La recherche d’une solution, d’une réponse autre que simplement protestataire ou autoritaire, doit nécessairement passer par une vue transversale recoupant ces quatre séries de données.

Ces quatre éléments peuvent tous être caractérisés par leur aspect exacerbé, que traduit l’usage récurrent du préfixe hyper- dans le classement ci-dessous : hyperidéologisation, hypermanipulation et hyperterritorialisation, hyperfrustration. Le dernier terme, naturellement, ne s’inscrit pas dans le même registre que les trois premiers, qui cherchent à décrire la nature du mouvement. Il se situe plutôt du côté d’une approche des causes, ou mieux des conditions qui en facilitent l’émergence répétée. Il supposerait une analyse de la situation des universités, de leurs personnels et de leurs étudiants, qui ne pourra être ici qu’esquissée de manière encore largement hypothétique.

HYPERIDÉOLOGISATION

« Les projets se transforment tellement en cours de route que, les générations qui font le bilan n’étant pas celles qui ont institué l’expérience, l’enseignement des faits n’est pas recueilli »
(Maurice Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 35)

Non seulement les slogans, mais les débats des AG et les quelques papiers qui ont circulé, cette fois-ci comme les précédentes, sont empreints d’une forte charge idéologique. On tentera de définir celle-ci avant de décliner brièvement les formes que lui donnent les divers groupes promoteurs du « mouvement ».

Les thèmes

Le thème dominant, le mot clé est « privatisation », pour caractériser la mesure à laquelle on s’oppose (successivement, et pour en rester à ces dernières années : LMD, ECTS, CPE, LRU… autant d’initiales maudites). Dans la formulation simple, voire simpliste donnée à ce thème, toute réforme d’origine gouvernementale ne peut être comprise que comme visant à livrer les Facs aux « intérêts privés », et à abandonner le soutien dû au « service public ». On s’oppose ainsi à toute ouverture en direction des entreprises (véritable chiffon rouge ; dans le texte de la LRU, les « fondations » jouent ce rôle de muleta), mais également à toute intervention « extérieure » autre que proprement nationale-étatique : régionale, internationale (les ECTS !), mais aussi bien relevant des autres secteurs de l’Éducation Nationale. Un des grands refus s’adressait cette fois-ci à l’idée, émise dans la loi LRU, de contacts nécessaires et réguliers de l’université avec les futurs étudiants que sont les lycéens. Le thème annexe est évidemment l’opposition à toute sélection, et même, de fait, à toute orientation ressentie comme contraignante. « Facs fermées aux intérêts privés, Facs ouvertes aux enfants d’ouvriers », scande-t-on sous les banderoles, sans (se) poser un instant la question de savoir ce que deviennent pas mal de ceux à qui, en dépit de ces slogans, les portes ont toujours été et restent ainsi ouvertes.

Une fois admise la nécessité de simplification inhérente à tout combat pour une cause, on ne peut que noter qu’une telle réduction de la lutte à une forme de slogan élémentaire a abouti au déni de la réalité – en fait, de bien des réalités. Même en laissant de côté ce qui concerne les relations avec les entreprises (qui n’occupent en vérité dans la loi LRU qu’une place minime), le face-à-face revendiqué avec la seule puissance publique et son corollaire le refus radical de la moindre parcelle d’autonomie oublient que les universités françaises ont depuis longtemps avec l’État (le Ministère de l’ES) des relations contractuelles (le « quadriennal ») et qu’elles existent dans et par leur environnement local, régional, et bien souvent international, environnement éducatif aussi bien que de recherche, « environnement » tout court avec des problèmes de locaux, de transport, de vie étudiante qui ne peuvent tous, c’est le moins qu’on puisse dire, se régler depuis Paris... De fait, une des conséquences tangibles de l’hyperidéologisation est la négligence des intérêts concrets des étudiants : pas de discours moins « syndical » que celui-là.

Autre conséquence de ce premier caractère, que nous retrouverons : il fait négliger les conditions politiques concrètes du combat engagé, et de ses chances de succès. Les leaders du mouvement de fin 2007 et leurs partisans n’ont cessé de s’appuyer sur l’expérience – leur expérience, qui est aussi la nôtre – de la « victoire » sur le CPE pour proclamer qu’on allait encore faire plier le gouvernement : « Abrogation de la loi Pécresse ! »... Oubli de la réalité, là encore : une loi n’est pas un décret, Pécresse n’est pas Villepin en bout de course, Sarkozy commençant (même aujourd’hui ;-)) n’est pas Chirac sur sa fin… ; enfin et surtout, le mouvement anti-LRU n’a pas bénéficié, et de loin, du soutien populaire et de l’unité syndicale entre les grandes confédérations qui ont été déterminants dans la lutte contre le CPE.

Ces remarques, aussi évidentes qu’elles puissent paraître, risquent cependant de négliger l’essentiel. Aux yeux des promoteurs de la « révolte », les objectifs immédiats sont en effet négligeables. L’attaque indiscriminée contre tout ce qui est « privé » ou « privatisable » nous livre la clef d’une pensée qui est en son fond néo-bolchevique, même s’il s’agit d’un bolchevisme du pauvre. Le « socialisme » au sens léniniste, la « Révolution » ont disparu des banderoles, non des têtes. L’idée maîtresse sous-jacente à ces slogans reste que la disparition de la propriété privée est le préliminaire obligé de l’accession à la société sans classe – expression elle aussi laissée en jachère, comme la trop fameuse dictature du prolétariat. Mais ces « oublis » ne touchent que la forme, nullement le fond. Tel est bien le credo commun des principaux acteurs.

Les acteurs

Parmi les divers groupes qui ont servi de déclencheurs à ce mouvement comme aux précédents, il faut faire une place à part à l’AGET-FSE. C’est ce mouvement, apparemment né d’un mariage improbable (d’une souche, semble-t-il, maoïste et d’une touche anarcho-syndicaliste), qui a inventé, à Toulouse au milieu des années 90, la technique du blocage au moyen de tables et de chaises sorties de leur « contexte » et judicieusement entassées. Cette technique semble avoir achevé cette année sa diffusion à l’échelle de l’ensemble, ou presque, des universités françaises. Sur un programme « syndical » de défense des étudiants dans le service public conçu comme il a été dit plus haut, ainsi que de revendications attrape-tout, ce groupe réussit, dans des Facs où les étudiants votent très peu, à faire élire un certain nombre de représentants dans les Conseils, avec trois missions : ne jamais participer de façon constructive à un débat, voter contre ou s’abstenir systématiquement, se tenir en réserve pour servir de relais intérieur aux Conseils lors des grands mouvements. Certains des militants de la FSE sont passés maîtres à ce jeu. Leur conviction, qu’ils affirment emprunter à la tradition ouvrière, ne se dissimule pas : nous aurons ce que nous prendrons, et peu importe les moyens.

Plus classique, Sud-Etudiants, qui s’associe étroitement au précédent lors des blocages, est, comme ses homologues professionnels (en particulier Sud-Education), le bras syndical de la Ligue Communiste, trotskyste (ou de son successeur besancenoté). Son obsession est le troisième tour social : réussir dans la rue, dans l’entreprise et préférentiellement dans ce monde malléable, ce « ventre mou » qu’est une université de LLSH ce que les urnes n’ont pu et ne peuvent faire. Programme à la fois révolutionnaire dans le ton et les formules, et d’un conservatisme et d’un corporatisme rigides sur le fond. Aspect connexe : à Sud, on est préoccupé au plus haut point par la « jonction des luttes ». Le CPE reste de ce point de vue un modèle. Cette année, on a beaucoup misé sur les cheminots et les régimes spéciaux, puis, après leur « défection » qui a fortement déçu les AG, sur des lycéens dont certains ont pris l’habitude, là encore surtout depuis le CPE, de bloquer leurs établissements pour se joindre aux mouvements. Éléments prometteurs de futurs blocages…

Il faut ajouter à ces deux « syndicats », les plus actifs et les plus voyants, quelques membres de la CNT anarchiste dite « des Vignolles », pour la distinguer de sa sœur reniée, la CNT-AIT (ce groupe a son siège rue des Vignolles à Paris), désormais – nouveauté 2007 – installée dans la place, ainsi que les membres de l’UNEF appartenant au Parti communiste ou aux JCR (Jeunesses Communistes Révolutionnaires, trotskystes), et des divers « comités communistes internationalistes », trotskystes d’autres obédiences qui, quoique portant le même titre, semblent se faire concurrence. Au passage, il semble bien que l’on repère, en cette fin 2007, un net glissement de la mouvance communiste, symétrique de celui de la direction du SNESup-FSU, parfois relayée localement avec zèle, et de sections CGT, vers ce qu’on appelait naguère le « gauchisme » : dérive sans doute inhérente à la vertigineuse perte d’influence numérique de ce courant politique. On dirait, en parodiant Lénine : le gauchisme, maladie sénile du communisme.
Deux mots de l’UNEF, ou plutôt de son aile dirigeante, proche du PS, ainsi que l’a confirmé au milieu même de l’épisode le glissement en douceur de Bruno Julliard de la présidence de l’organisation étudiante à une place sur la liste de B. Delanoë aux élections municipales de Paris. L’UNEF a ostensiblement oscillé entre une position d’attente négociée au préalable avec Mme Pécresse, un ralliement ultérieur aux formes dures du mouvement et enfin un retrait d’opportunité, peut-être trop tardif pour être vraiment crédible. Dans les AG, elle était clairement sur la touche.

Sur la touche aussi, mais hélas pas complètement, les autonomes (dits les « totos » par leurs camarades), situationnistes et autres preneurs de leur pied dans le cadre de l’occupation prolongée des lieux. C’est à eux qu’il faut imputer, du moins directement, les agressions contre les urnes et les dégradations diverses des locaux (liens exacts avec la CNT-Vignolles ?).

Une place à part est à faire à la Cé, Confédération étudiante proche de la CFDT, inégalement représentée selon les Facs, qui a obtenu certaines dispositions dans la loi concernant l’orientation et l’insertion professionnelle, et, tout en restant critique, s’est déclarée hostile aux blocages. Dans certaines universités, des regroupements se sont faits autour de l’opposition à ces mêmes blocages : à l’UTM, le groupe « LibertaFac » a fédéré sur cet objectif des étudiants d’opinions diverses et joué, de fait, un rôle non négligeable au sein des dernières AG et dans le déblocage des locaux. La question reste ouverte de savoir si de telles ententes survivront à la phase dure du mouvement, par exemple jusqu’aux élections des Conseils.

Résumons : l’alliance habituelle entre la FSE et Sud, l’arrivée sur le marché de la CNT, la prégnance idéologique, néo-bolchevique, du refus de la « privatisation », réelle ou fantasmée, le souvenir de la victoire lors de la lutte contre le CPE ont entraîné un nombre significatif d’étudiants : à l’UTM, 500 d’entre eux environ paraissaient encore, à la mi-décembre, suivre les consignes dures du groupe dirigeant (« Comité de Lutte » renouvelé à chaque AG). Ce sont les méthodes de ce groupe et des AG qu’il anime et contrôle qu’il convient d’analyser maintenant.

HYPERMANIPULATION, HYPERTERRITORIALISATION

Il peut paraître inutile d’insister sur les manipulations qui accompagnent, depuis toujours dirait-on, le fonctionnement en AG bihebdomadaires couplées à la participation à des manifestations de rue. Au demeurant, qualifier un groupe dirigeant de néo-bolchevique, c’est dire qu’il s’encombre fort peu des scrupules de la « démocratie bourgeoise ». Cette fois, cependant, la manipulation a atteint un degré plus élevé, plus théorisé aussi, et elle a été plus nettement couplée que les fois précédentes, dans le cadre du blocage, à l’occupation d’un territoire.

Aspects de la manipulation

« Entre celui qui manie les signes et celui qui manie les masses, il n’y a pas de contact qui soit un acte politique »
(Maurice Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 271)

Pour faire vite, on peut essayer d’en décrire ainsi les principaux traits :

- l’orchestration sans relâche du thème unique, touchant comme on l’a vu au simplisme obsessionnel, de la menace de « privatisation » ;
- l’accompagnement démagogique par une basse continue fantasmée : l’augmentation des frais d’inscription ;
- l’objectif surdimensionné de « la lutte » : l’abrogation, sinon rien, et son corollaire la déconsidération de toute analyse ou option réaliste, au sens de partant du réel pour tenter de l’améliorer ;
- les méthodes rituellement mises en œuvre au cours des AG : encadrement par le bureau de séance prédésigné, ordre du jour piloté avec soin, durée de la réunion élastique ou compressible selon les besoins du moment, textes mis aux voix, décompte des voix, avec un usage subtil et à géométrie variable du NPPV (ne prend pas part au vote)… ;
- proclamation de « souveraineté » de l’AG, plus nettement que naguère érigée en concurrente de la légitimité des institutions élues (Conseils, Présidence) ;
- enfermement quasi autiste de l’AG sur elle-même, un enfermement facilité par le système de la représentation « externe » variable, le changement perpétuel d’interlocuteurs, ce qui rend impossible toute négociation véritable ;
- une caractérisation venue de l’extérieur (par Sud, le SNESup, les « AG » de personnels) qui survalorise « la lutte » et ses buts en refusant toute évaluation des méthodes, ce qui revient à cautionner celles qui sont mises en œuvre : « les étudiants se donnent en toute autonomie leurs méthodes de lutte et leurs représentants, nous n’avons pas à interférer ». Cela peut s’appeler un encouragement à l’autisme, donc à tous les dérapages.

Théorie et pratique : de l’Athènes démocratique aux AG étudiantes

« Il peut se faire, dit Lukàcs [Geschichte und Klassenbewusztsein, 1923] que, dans un temps où l’appareil capitaliste avec ses contraintes n’était pas encore constitué, la culture ait obtenu des expressions du monde qui gardent un “charme éternel”…» (Maurice Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 54)

La fin de l’année 2007 semble également avoir vu un effort plus poussé de théorisation visant à justifier les méthodes d’AG, en les opposant au système de désignation à bulletin secret d’instances élues, et, de manière plus circonstancielle, mais inquiétante, aux tentatives faites pour que les étudiants puissent se prononcer dans les urnes sur le blocage. À l’UTM, où cette tentative a été empêchée par la force, il s’est trouvé un helléniste pour apporter aux leaders des AG la caution de l’expérience de l’ecclésia athénienne, glorifiée comme exemple de « démocratie directe ». Comme ce texte a beaucoup circulé et est devenu chez certains étudiants un quasi-bréviaire, il faut dire deux mots de la question. Il est vrai que les brèves périodes de « démocratie radicale » à Athènes au Ve et au IVe siècle av. J.-C., telles qu’on peut les connaître à travers les descriptions (Constitution d’Athènes) et commentaires (Politique) d’Aristote, ont été marquées par la souveraineté de cette « assemblée générale du peuple ». On remarquera toutefois que le dèmos athénien est celui des citoyens, c’est-à-dire qu’il exclut les femmes, les hommes libres non citoyens, les métèques, les esclaves, soit une bonne majorité de la population. On mentionnera aussi le rôle régulateur joué dans le système (quant à l’ordre du jour, aux textes soumis au vote, etc) par le Conseil (la Boulè) des Cinq Cents, composé sur une base représentative, ainsi que par l’influence de quelques « stratèges » dont le plus populaire, Périclès, a été réélu sans interruption. En un mot (simpliste lui aussi), ce qui sépare l’AG athénienne de celle de nos universités, c’est (par défaut) la fermeture du corps civique et (par excès) le sens et la pratique de la responsabilité dans la durée. C’est aussi le fait que l’ecclésia a en charge officiellement la cité-État, l’AG étudiante… son propre sort, et au mieux (même si c’est en rêve) celui d’une université, celle « de résidence » : témoin le déroulement chaotique des tentatives de coordination nationale… Soulignons encore, à titre de nuance non négligeable, que la première description d’un vote, sinon à bulletin, du moins à « jeton secret » déposé dans une urne, en parallèle au vote à main levée (cheirotonia), concerne la démocratie athénienne et se trouve, sous la forme la plus détaillée, chez Aristote (Constitution d’Athènes, 68,2 – 69,1).

Un autre type d’AG, naturellement, continue à être invoqué à l’appui des méthodes mises en œuvre dans les universités. C’est l’AG ouvrière, syndicale, accompagnée de la mise en place de piquets de grève, qui a si souvent dans l’histoire contribué à la prise de conscience des intéressés et à leur engagement dans le combat social. On peut en effet, en théorie, penser qu’une telle initiative est utile, sinon indispensable au déclenchement d’un mouvement d’envergure. Jamais, disent ses promoteurs, il ne serait possible de réunir autant d’étudiants autour de la juste cause sans procéder ainsi. Le problème est que précisément, les conditions d’un mouvement dans une université ne sont pas celles du combat ouvrier. L’AG répétitive dans des locaux restés seuls ouverts au sein d’une Fac bloquée et désertée a l’effet inverse de la prise de conscience : la fuite, le désintérêt, quand ce n’est l’écœurement et souvent, pour les plus fragiles, une démobilisation par rapport aux études elles-mêmes.

Refermons la parenthèse d’histoire contemporaine et poursuivons l’analyse comparative. Le même texte d’helléniste aux vues tranchées bat sa coulpe sur la poitrine des autres. Citation : « les “consultations” à bulletin secret organisées par nous, leurs profs et souvent leurs mentors […], ne sont ni plus démocratiques que leurs votes à main levée, ni plus impartiales, ni plus légitimes. Elles sont juste des résurgences intempestives du vieux débat dix-neuviémiste… ». Deux arguments ici : « les profs » n’ont pas à interférer dans les débats de ceux qui seraient « les étudiants », encore moins à leur imposer des procédures étrangères à la « démocratie directe ». C’est l’argument SNESup Canal Historique : on a dit plus haut les conséquences de cette neutralité bienveillante. Plus grave : la référence au fantôme d’un débat qui aurait, paraît-il, occupé le XIXe siècle entre partisans de la démocratie directe (baptisés ici « démocrates ») et ceux d’une démocratie parlementaire minimaliste (assimilés à des « républicains ») saute à pieds joints par-dessus les expériences totalitaires du XXe siècle. Comme chacun sait ou devrait savoir, les remises de pouvoir à des « soviets » visant en principe au dépérissement de l’État se sont toujours achevées par la mise en place de régimes de dictature : URSS, Chine, Cuba, Corée du Nord... On oserait conseiller aux hellénistes (et aux autres) tentés par ce type de court-circuit historique de relire le grand texte, déjà cité et qui le sera encore ci-dessous, de Maurice Merleau-Ponty, intitulé Les aventures de la dialectique (Gallimard, 1955). Plus lucide à cet instant que son compagnon de lutte et de pensée Jean-Paul Sartre, cet homme qui, comme bien d’autres au lendemain de la seconde guerre mondiale, avait tant rêvé de « la Révolution » et réfléchi sur le modèle soviétique, ce philosophe engagé qui avait médité Max Weber non moins que Lénine et Trotski, finissait par conclure : « le Parlement est la seule institution connue qui garantisse le minimum d’opposition et de vérité » (p. 304).

Territorialisation

« Ce pouvoir ignore sa vérité, c’est-à-dire l’image qu’en ont ceux qui ne l’exercent pas »
(Maurice Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 278)

Ici encore, le mouvement de fin 2007 s’inscrit dans une brève mais déjà constante tradition. Pour le noyau dur et ceux qui s’y agrègent, bloquer l’université signifie s’emparer d’un local (un amphi et son environnement) et l’occuper sans relâche. Préoccupation pratique, naturellement, de même que celle de bénéficier de moyens de reprographie et de diffusion, si possible aux frais de l’université. Préoccupation politique et symbolique surtout. Être maîtres, le plus longtemps possible, d’une portion du territoire universitaire, c’est se faire reconnaître de facto comme exerçant une part au moins de la fameuse « souveraineté » revendiquée par et pour les AG. De ce point de vue, la disposition de l’Arche qui préside à l’entrée du Mirail est de nature à exalter les imaginaires : des confidences d’acteurs l’ont confirmé. S’imposer à cette place, c’est se poser en concurrents des institutions légales et légitimes – intention rituellement confirmée par les tentatives d’invasion du Conseil d’Administration légalement élu. Pour asseoir cette position, il faut créer un espace protégé de toute intervention, où l’on se réunit pour soi, entre soi, et que des « comités de lutte » occupent jour et nuit, en permanence. D’où, il faut y revenir malgré les dénégations, la nécessité absolue d’un blocage qui désertifie les campus. Par rapport aux premiers essais de ce type de mouvement, il y a plus de dix ans, la généralisation du téléphone portable représente un outil de « progrès » remarquable.

L’association étroite entre manipulation et territorialisation ressort avec clarté des phénomènes qui se produisent en fin de mouvement. Ainsi, à l’UTM, une semaine après un vote d’AG qui avait appelé à la fin du blocage, et à quelques jours des vacances de fin d’année, une AG a « voté », dans des conditions qu’il vaut mieux ne pas approfondir, une remise en place des « piquets »… pour faciliter un défilé prévu en ville, au demeurant squelettique. Pas d’autre raison concevable à cette aberration que le désir de conserver le plus longtemps possible le contrôle des lieux.

Il reste à comprendre comment de telles manœuvres, effectuées au profit d’idéologies qu’on pouvait croire rangées aux placards de l’histoire, parviennent encore à séduire régulièrement un nombre non négligeable d’étudiants. Les séduire, ou du moins ne pas les révulser, au point qu’ils supportent sans restriction mentale apparente de telles logorrhées et apportent pendant des semaines leur soutien à ceux qui les proclament. Pour ceux d’entre nous qui s’inquiètent du présent et de l’avenir des universités de Lettres, Langues et Sciences Humaines, cette question est certainement la plus importante, à la fois parce qu’elle touche une minorité significative de nos étudiants et qu’elle détermine la possibilité, voire la probabilité que de tels mouvements s’installent de manière endémique dans le paysage. Ce n’est pas non plus la question à laquelle il soit le plus facile d’apporter une réponse.

HYPERFRUSTRATION ?

« Il y a un esprit révolutionnaire qui n’est qu’une manière de déguiser des états d’âme »
(Maurice Merleau-Ponty, Les aventures de la dialectique, p. 10)

L’interrogation qui achève ce sous-titre trahit une part d’hypothèse. Celle-ci affecte assurément la tentative d’explication parcellaire et confuse qu’on est contraint d’exposer à ce stade. Une étude systématique, fondée sur des enquêtes et des statistiques précises, permettrait seule d’aller plus loin. Mais est-elle vraiment possible ? Il faut en tout cas dépasser l’explication quasi hormonale, qui comporte sans aucun doute une part de vérité, par le besoin de contestation virulente et transgressive qui s’empare périodiquement de la jeunesse.

Il y a d’abord un climat d’inquiétude très répandu, le noir esprit du temps qui, dans la France d’aujourd’hui, tourne les esprits vers le pessimisme et la méfiance généralisée. Non sans ambiguïté quand il s’agit d’un « public » jeune pour lequel la difficulté devant l’emploi, ou la perspective d’un emploi déclassé, représente à la fois une hantise personnelle et collective, mais également une issue éventuelle face au risque d’une entrée jugée contraignante dans la « vie active ». Par ailleurs, l’aspiration massive – attestée par plusieurs sondages – à une insertion professionnelle dans la fonction publique s’accorde avec un souci de stabilité dans l’emploi en même temps qu’elle alimente une préférence « idéologique ». Inversement, tel des leaders du mouvement toulousain, pourfendeur acharné de la « professionnalisation » de l’université, est inscrit en… Master pro. Recherche qu’on prévoit infructueuse d’un travail permanent, ou recul indéfini devant cette perspective ? La dénonciation s’exprime parfois sous une forme d’autant plus vive qu’elle pourrait bien masquer une secrète aspiration. Première frustration.

La deuxième frustration est sans doute celle de certains étudiants, entrés sans sélection ni orientation à l’université, qui attendaient trop de celle-ci. Souvent en échec au bout de quelques mois (et que cet échec s’explique par leur inadaptation au cadre universitaire ou par l’inadaptation de celui-ci à leur condition : la réalité comporte toujours, à dose variable, une part de ces deux éléments), certains d’entre eux n’ont rien à perdre à… perdre dans un mouvement de longue durée une année déjà perdue. Paradoxalement, ils se retrouvent, de l’autre côté de la barrière qu’ils ont eux-mêmes érigée, dans une situation analogue à celle de leurs camarades en difficulté, eux aussi, pour des raisons socioculturelles, mais qui auraient souhaité continuer à tenter leur chance. Les plus obstinés persévéreront dans leur rude parcours, quand les autres auront déjà abandonné.

D’autres étudiants « mouvementistes », cependant, poursuivent et poursuivront sans doute des études satisfaisantes. Ceux-là expliquent tranquillement que les autres, les étudiants qui ont fui la Fac, ceux en qui ils refusent de voir des victimes des événements, n’ont (n’avaient) qu’à faire comme eux : passer leur temps libre à lire et à se cultiver (témoignages authentiques et recoupés). Il y a là une forme d’inconscience bourgeoise qui va de pair, on l’a dit, avec la conviction « radicale » qu’un mouvement de cette ampleur et de cette ambition ne peut que faire des dégâts collatéraux.

Le paradoxe ne s’arrête pas là. Que pense-t-on réellement d’une Fac dont on réclame toujours plus l’ouverture alors qu’on dénonce son inutilité ? D’une Fac dont on met en cause la dérive « professionnalisante » au moment où l’on souhaite qu’elle participe à la lutte contre le chômage. D’une Fac à laquelle on réclame d’être « critique » alors qu’on pourfend des profs jugés conformistes… D’une Fac que l’on contribue à abaisser par les méthodes déjà décrites, un abaissement redoublé par l’organisation de contre-cours d’allure parodique, mis sur pied avec le soutien d’enseignants bienveillants, heureusement très rares. A Toulouse, ce barnum parodique a pris le nom significatif de « Fack off ». De façon plus large, la présentation des profs comme des adversaires, voire des adversaires « de classe », est un phénomène, certes très minoritaire, qui s’accentue à chaque mouvement. Et la contradiction subsiste entre une université vouée aux gémonies, que l’on s’accorde à décrire comme peu accueillante et inadaptée aux aspirations étudiantes, mais où la logique du mouvement conduit à s’incruster comme chez une alma mater.

Pour un certain nombre d’étudiants, l’esprit de revanche nourri par ces sentiments confus de frustration a pris également, depuis les élections présidentielles, un tour proprement politique. Avoué ou non, on peut parler ici d’un « effet Sarkozy » à l’envers, et sans doute décrypter, parmi les raisons de l’hostilité au « bulletin secret », une volonté de revanche sur les urnes. L’aggravation actuelle de la situation matérielle et le sentiment croissant de déconsidération des « classes moyennes » dont sont issus bon nombre d’étudiants fournit un fondement concret à ce type de réaction.

* * *
Que faire ? Il n’existe pas de réponse simple à la question de Lénine. Il faut d’abord éliminer certaines éventualités comme certaines options. A vue humaine, aucun gouvernement ne reviendra sur l’ouverture des universités à tout titulaire du baccalauréat. Il faut donc assumer les conséquences de cette donnée de fait. De leur côté, les groupes politiques qui pilotent de tels mouvements n’ont aucune raison d’y renoncer tant qu’ils penseront y trouver un profit politique. Et il n’est au pouvoir des universitaires, du Président à l’enseignant « de base », de changer ni le Président de la République ni le climat général qui prévaut actuellement dans le pays, c’est-à-dire deux des facteurs qui expliquent la réussite relative de ce type d’actions. Par ailleurs, si les sanctions contre les dégradations ou certains (rares) comportements physiquement agressifs doivent être mises en œuvre sans faiblesse, il serait illusoire d’en appeler à la simple répression. Les remèdes de fond ne peuvent qu’être locaux, pacifiques, constructifs, et ils tiennent à des mesures plus faciles à énumérer qu’à mettre en œuvre, même si plusieurs universités se sont déjà engagées dans cette voie :

- faire en sorte qu’existe une « vie de campus » (intellectuelle, conviviale, culturelle, sportive) qui attache davantage un nombre significatif d’étudiants à un cadre de travail qui leur apparaîtra plus épanouissant ; cette intégration pourrait leur donner plus de force dans le refus des blocages imposés ;
- assurer un meilleur suivi des étudiants en termes d’accueil, d’écoute, de pédagogie, de rattrapage des carences constatées, en particulier dans l’expression écrite et orale ; en prendre les moyens en termes d’enseignants référents, de programmes, d’adaptation du cycle des études à la diversité des cas particuliers ;
- donner toutes ses chances à l’orientation au long du cursus et à l’aide à l’insertion professionnelle ; faire qu’aucun étudiant, même en situation d’échec, ne puisse quitter l’université sans l’attestation d’avoir acquis des compétences qui lui soient utiles pour la suite ;
- permettre, parallèlement, que se fassent jour chez les étudiants comme au sein des personnels des universités un intérêt concret pour la condition étudiante et une réflexion sur les moyens d’y remédier : en somme, moins de « mouvementisme », plus de « syndicalisme » ;
- favoriser dans le cadre de l’université la discussion la plus ouverte possible sur tous les thèmes qu’ont fait apparaître les mouvements des dernières années, de la vie de tous les jours de l’étudiant aux conceptions qu’on peut se faire d’une démocratie véritable ;
- du côté des personnels, faire fructifier, à côté de l’indispensable vie syndicale démocratique, légale (c’est-à-dire à la fois reconnue par la loi et respectueuse de celle-ci) et pluraliste, les échanges et la solidarité manifestés par la création de groupes comme, à Toulouse 2, Université et Démocratie ; à quelque chose malheur est bon, ce genre de contacts n’aurait sans doute jamais eu lieu sans l’épreuve qu’il a fallu traverser.

Jean-Marie Pailler (Histoire)


ANNEXE
Quelques remarques sur démocratie et « mouvement social »

(Daniel Mothé, Esprit, juillet 2006, p. 35-53))

L’an dernier, Daniel Mothé, porteur d’une longue expérience syndicale chez Renault, sociologue et observateur reconnu du mouvement social, a publié un article très suggestif sur «La grande démocratie et la petite démocratie ». Partant des insatisfactions qu’engendre le fonctionnement des démocraties parlementaires classiques, il confrontecelui-ci à deux propositions alternatives : d’une part, la « petite démocratie », celle du local et du quotidien, en laquelle il voit un complément et un contrepoids à développer, d’autre part, la « démocratie directe » telle qu’elle est prônée et pratiquée au sein des « mouvements sociaux ». On trouvera ci-dessous quelques passages de l’analyse éclairante (p. 38-44) consacrée à ce dernier aspect. Dans la mesure où les promoteurs des mouvements qu’on vient d’analyser se réclament de ces pratiques et de cet esprit, il conviendrait d’opérer ci-dessous la transposition dans le langage des AG étudiantes du vocabulaire concernant les manifestations de rue, etc. On s’est limité à quelques interventions en ce sens dans les extraits du texte de Daniel Mothé (en gras et entre crochets).
Cette critique des formules du « mouvement social » n’est nullement conservatrice. Elle laisse intact, chez D. Mothé comme sans doute chez beaucoup d’entre nous, le souci de renforcer et d’améliorer les pratiques de la démocratie, à l’université comme ailleurs De ce point de vue, les remarques de l’auteur sur la « petite démocratie », qu’il était impossible de reproduire ici, méritent également d’être considérées.

« Pour les défenseurs du mouvement social, le déficit de citoyenneté des individus se manifestant par un fort taux d’abstention au suffrage universel serait une réaction saine et légitime devant une offre politique qui ne serait pas à la hauteur de leurs attentes et de leurs désirs : médiocrité du personnel politique, manquement à ses promesses, uniformisation des programmes. Cette interprétation les conduit à développer d’autres modes d’intervention des citoyens, en prônant des manifestations de rue et des journées d’action [ajouter les AG dans les universités]. Ce qui peut paraître paradoxal puisque, à une manifestation de désintérêt pour la politique, ils répondent par une offre de civisme supplémentaire. […]

Il nous semble un peu trop simple de prétendre que les individus désireraient s’investir davantage en politique, à savoir voter plus souvent et consacrer davantage de temps aux débats […] Le désir d’intervenir directement sur les événements politiques ou sociaux se limitent à ceux organisés dans des associations, des partis, des syndicats. Des collectifs que l’on appelle mouvements viennent s’y joindre de manière ponctuelle et agrègent d’autres personnes concernées par les thématiques : catégories socio-professionnelles, groupes ethniques, groupes locaux, personnalités réclamant des droits supplémentaires, etc. En réalité, le « mouvement social » est constitué d’un noyau dur de personnes organisées qui mobilisent des mécontents vers des objectifs politiques. Pendant cette période mobilisatrice, les organisateurs offrent la possibilité aux catégories qu’ils défendent de s’exprimer dans des assemblées et des forums. Mais, dans de tels regroupements, les citoyens ordinaires témoignent surtout de leur cas personnel et ne sont encouragés à le faire que si leur témoignage s’inscrit dans le canevas des objectifs politiques du mouvement préorganisé. On peut dire que ce mouvement offre une tribune aux mécontentements ordinaires leur permettant de débattre publiquement avec d’autres mécontents mais rarement avec les acteurs responsables de leurs mécontentements [cf. plus haut sur « l’autisme »]. En cela, le mouvement social ouvre des espaces délibératifs à un plus grand nombre de personnes qui sont préalablement d’accord entre elles.

Pour faire participer le plus grand nombre de personnes aux délibérations, il n’est pas seulement nécessaire de trouver des espaces institutionnels dans lesquels les personnes puissent participer. Encore faut-il aussi qu’ils le désirent au point d’y sacrifier une partie de leur temps libre [ou de leurs études…] […] Il est incontestable que le sacrifice consistant à marcher [ou à s’enfermer en AG] pendant une après-midi est plus grand que celui de déposer un bulletin dans une urne. Mais les justifications morales de cette forme de mobilisation et d’action sur la politique représentative ne doivent pas se limiter à la défense de la forme d’expression. Elles doivent aussi apparaître dans l’argumentaire, dans le contenu de l’action. L’âpreté et la passion des orateurs dans un débat ne leur donnent aucune légitimité supplémentaire : elles se trouvent en effet tout aussi bien chez les fascistes que chez les démocrates convaincus.[…] La parole est représentative de la catégorie défendue par l’orateur mais elle ne dit rien sur le nombre de personnes de cette catégorie qui partagent l’opinion formulée. […]

Les manifestations du mouvement social ont un avantage démocratique : elles traitent la politique dans son actualité, en situation, tandis que le suffrage universel la traite par intermittence. On peut considérer que l’actualité doit prévaloir sur le suffrage. Mais la mobilisation sociale présente un déficit sur le suffrage universel : c’est son incapacité à prouver la représentativité des personnes défilant dans la rue [ou squattant un amphi ;-)]. Seul le recueil de pétitions peut être une technique légitime sur ce point. […] Un surplus de démocratie peut être envisagé à partir de la multiplication des espaces publics où des petits groupes délibéreraient mais à condition que, dans cet espace, toutes les opinions aient les mêmes garanties d’expression. L’espace délibératif du mouvement social sous forme de forum s’institue toujours en aval d’une autre délibération décisionnelle prise en amont par les leaders. Cette « démocratie directe » ne s’instaure que dans le cadre idéologique fixé par des élites militantes. Elle lui est même parfois totalement subordonnée. […] Or, dans cette logique du rapport de force, les opposants, noyés sous le nombre des convaincus, ne s’expriment que rarement. Il leur faudrait un courage énorme pour affronter les acteurs qui, à partir d’une forte détermination, ont choisi la manifestation [et l’AG] pour s’exprimer. Les débats dans de tels rassemblements sont des débats de convaincus qui se déroulent sur un autre registre que l’argumentaire du contenu. On assiste alors souvent à des logiques de concurrence de légitimation des stratégies portant sur des surenchères de vertu entre les protagonistes. […]

On doit s’étonner du fait que tout ce qui rassemble le mouvement social est célébré comme une grande liturgie et évite de prendre en compte les résultats obtenus. Les échecs successifs sur les retraites, sur l’enseignement, sur le service public des transports, sont salués comme des signes de maturité démocratique du mouvement social comme si les Français se mettaient à célébrer toutes les défaites militaires qu’ils ont subies au cours des siècles pour marquer leur génie national. Peu importent les résultats : l’important est que chaque manifestant ait apporté son offrande en sacrifice, pour certains, des pertes de salaires, pour d’autres, des pertes de RTT, sacrifice d’heures de divertissement pour le grand nombre. Cette sorte de potlatch anti-utilitaire, s’il ne prend pas en compte le critère de réussite ou d’échec des revendications, a toutes chances de décourager les participants. Le rapport de force qui conduit à la martyrologie risque d’éroder rapidement son audience. […]

Les individus vivent plutôt en paix entre eux, ce qui a comme contrepartie leur résistance à des démonstrations trop guerrières du mouvement social. La chose est bien présente dans l’esprit des organisateurs de ces manifestations, qui, pour attirer les foules, laissent une place importante aux démonstrations pacifiques, ludiques, à l’humour et à la dérision. Le conflit est obligé de prendre des allures d’opérette pour séduire les foules. Même si on échoue, on a l’assurance de s’être bien amusé… » [Fack off !]